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La tortue, un symbole vivant !
La tortue, animal existant depuis plus de 250 millions d’années, et omniprésent dans la mémoire des hommes et des civilisations, ne sera peut-être un jour plus qu’un nostalgique souvenir. Alors souvenons-nous… Les symboles sont essentiellement attachés aux cultures et aux traditions antiques dans lesquelles puise le monde contemporain, qui reste lui aussi très chargé de symboles. Et il n’est pas étonnant de constater que les civilisations anciennes, principalement dans les régions de type rural ou montagnard, sont celles dans lesquelles les symboles ont eu le plus d’importance. Attachées aux archétypes symboliques on trouve généralement des contes ou des légendes se rapportant au caractère particulier de la tortue. Nous évoquerons des croyances, des légendes, mais aussi la cosmogonie, c’est à dire la représentation du monde et de sa création dans les civilisations anciennes. En Extrême-Orient (Chine, Japon, Vietnam, Corée, Inde, Tibet…) comme en Amérique du Nord (du Mexique jusqu’en Alaska), la tortue est avant tout le support du monde. Dans la quasi-totalité des civilisations anciennes du monde entier (dont certaines existent encore, comme le peuple aborigène d’Australie, la Chine ou le Vietnam) la tortue a toujours été essentiellement un symbole de longévité et de sagesse. Cela tient bien sûr à sa très longue durée de vie et à sa nonchalance, mais aussi à sa discrétion face aux événements qui rythment le monde. La lenteur de ses déplacements la fait également figurer comme une digne représentante de la sagesse… et de l’art d’avoir toute l’éternité devant soi.
Il est frappant de constater à quel point c’est dans la civilisation chinoise que la tortue a le plus marqué les esprits. Il faut dire que les premières traces de l’écriture chinoise remontent à environ 3500 ans et que ces idéogrammes primitifs, lorsqu’ils n’étaient pas gravés sur de la pierre, l’étaient sur les carapaces de cet animal. Par ailleurs les écritures des anciens étaient gravées pour l’éternité si le support était une carapace de tortue, plus encore que si ces symboles étaient gravés sur la pierre. Cette longévité de la tortue et la stabilité de sa carapace pendant de longs siècles après sa mort a également intrigué les devins qui lui attribuèrent une véritable connaissance de l’avenir cachée dans les motifs de sa carapace. En jetant la carapace quelques minutes dans le feu de la terre, on pouvait voir les esprits célestes communiquer avec les hommes en inscrivant des symboles par les craquelures et fêlures causées par le feu sur les carapaces. Voulant reproduire les motifs ainsi engendrés, les devins et les savants il y a 3500 ans tracèrent ainsi les premiers symboles qui devinrent progressivement les 214 clés de base permettant l’élaboration de tout le système de l’écriture chinoise. Par ailleurs la numérologie et les premiers carrés magiques furent inventés et réalisés avec l’aide des motifs et la disposition des écailles de la dossière. Les chinois furent les premiers terrariophiles au monde. Depuis plus de deux mille ans dans certaines provinces de montagne la possession d’une tortue sous son toit apporte une protection divine à la famille et au foyer. Il n’y avait pas un seul temple taoïste ou bouddhiste qui n’ait des tortues, non pour les manger mais pour protéger la vie de ceux qui y résident. Ainsi les tortues pouvaient être prélevées dans la nature pour la consommation humaine (pratique essentiellement confucianiste) mais aussi pour servir de compagnon protecteur de la famille et de l’abri.
Dans le Tao, philosophie majeure de la Chine ancienne comme de la Chine moderne, cinq éléments sont suffisants pour construire toutes les briques du monde. Ce sont le bois, le métal, le feu, la terre et l’eau. A ces cinq éléments sont associés cinq saisons (la mousson est une saison), cinq directions (les quatre points cardinaux plus l’endroit où nous nous trouvons), cinq couleurs, et cinq animaux. La tortue est l’un de ces cinq animaux. Elle est associée au nord, à l’élément eau, à l’hiver et au noir (couleur de la pureté en Extrême-Orient contrairement à l’Occident).
En Chine il existe un certain nombre de dieux qui ne sont pas des dieux au sens où nous l’entendons en Occident mais des représentations des aspects très divers de l’esprit humain. Parmi ces dieux il en est deux dont nous allons parler parce qu’ils sont liés directement à des tortues légendaires. Il s’agit du dieu des Examens et du dieu de la Longévité. Le dieux des Examens est figuré dans le ciel chinois par les quatre étoiles qui forment le Chariot de la Grande Ourse. C’est un dieu d’une laideur particulièrement marquée, le visage déformé par une horrible grimace. Dans sa main gauche il tient un boisseau, dans sa droite un pinceau de calligraphe. Il est entièrement nu à l’exception d’un pagne entourant sommairement ses hanches. Il se tient bizarrement penché en avant et dans une attitude qui rappelle un homme entrain de courir. Seul le pied droit repose au sol, ou plutôt… sur une tête de tortue. L’explication avancée est que lors de sa vie sur terre, il fut reçu premier au Doctorat, mais voyant sa laideur immonde l’empereur refusa de lui octroyer le diplôme. Au comble du désespoir et du déshonneur, il abandonna ses vêtements et tenta de se noyer mais une tortue Ngao qui passait par là le reçut sur la tête et fit de lui un dieu, l’expédiant dans le Ciel. Le dieu de la Longévité a le visage typique du vieux chinois doté d’une longue barbe et d’un énorme crâne chauve. Il est courbé mais encore debout, appuyé à une grande canne noueuse, et tient dans une de ses mains le fruit de l’Immortalité. A ses pieds se trouve une tortue et parfois un héron ou une grue, ces animaux ayant une très longue durée de vie.
Dans la cosmogonie chinoise, le monde est porté par quatre éléphants, eux-mêmes soutenus par une tortue. Cette vision du monde vient tout droit de l’Inde. En effet en Inde nous allons retrouver la tortue portant les éléphants, comme dans la cosmogonie chinoise. Pour les hindous la création du monde revient au dieu Brahmâ. Un énorme serpent se mordant la queue est suspendu dans le vide de l’infini, symbolisant la course éternelle du Soleil dans le ciel. Sur ce serpent repose une tortue. C’est par elle que la force des cieux va se traduire dans le monde des réalisations. La tortue prend donc dans l’esprit de l’hindou le symbole de force et de pouvoir créateur. Sur cette tortue se trouvent des éléphants qui portent les trois mondes. Le monde inférieur des démons et de l’enfer, le monde intermédiaire des hommes et de la Terre, et le monde supérieur des dieux et de la félicité. C’est par la tortue que ces trois mondes existent, car elle est le lien direct entre l’univers et sa manifestation.
Toujours en Inde la deuxième des dix réincarnations de Vishnu fut sous la forme d’une tortue appelée Kurmâ qui apporta son aide à Indra pour vaincre les démons Asuras. Pour ce faire elle servit de pivot central pour permettre aux dieux de baratter l’Océan des Origines d’où naquit la liqueur de l’immortalité, l’arbre du Paradis, la médecine des dieux, la déesse du vin, les nymphes, le cheval divin, l’éléphant royal, et tant d’autres merveilles… La même scène est également représentée de façon magnifique sur un bas-relief du Temple d’Angkor au Cambodge.
Au Vietnam, au sud de la vieille ville de Hanoï, se trouve un petit lac qui constitue un véritable paradis au milieu de la ville. Ce lac se nomme Hoan Kiêm, le Lac de l’Epée Restituée. C’est un des endroits les plus romantiques du monde ! On peut se promener un après-midi en flânant au gré des petits sentiers boisés qui l’entourent. Ce Lac portait autrefois le nom de Lac Thuy, c’est à dire le Lac Vert. Pas un seul vietnamien n’ignore la légende de ce petit lac ! Un jour un jeune pêcheur trouva en pleine mer accrochée dans ses filets une lame d’épée sans manche et qui portait gravée l’inscription ” Selon la volonté du Ciel” . Il alla offrir cette lame d’épée au fils d’un très riche personnage qui, après des recherches, retrouva le manche de la lame. L’épée ainsi reconstituée servit pendant une dizaine d’années à ce notable dans la guerre contre les envahisseurs chinois. Ce notable s’appelait Lê Loi. Il vécut réellement, de 1385 à 1433. Après avoir repoussé l’envahisseur chinois, il devint roi en 1428 sous le nom de règne de Lê Thài Tô. Afin de profiter de cette paix enfin acquise il vint aussitôt s’installer dans la ville qui se nomme maintenant Hanoï. Le Roi aimait se promener dans une petite embarcation au milieu du Lac Vert. Mais il ne put conserver l’épée bien longtemps. Quelques jours après la fin de la guerre, de son petit bateau il vit soudain émerger une tortue géante du fond de l’eau. Terrifié, le roi dégaina son épée, la brandit devant lui mais la tortue fut très rapide et sans le blesser lui arracha l’épée avec son bec avant de disparaître pour l’éternité dans les profondeurs du lac.
Le roi se dit alors que le Dieu Tortue d’Or était certainement le véritable propriétaire de l’épée magique, que celle-ci la lui avait seulement prêté et que la paix maintenant revenue, il devait la lui restituer. C’est ainsi que naquit la légende du lac de l’Épée ” restituée” à son propriétaire divin. Dans ce lac se trouvent réellement des tortues. Hélas, il n’y en a plus guère aujourd’hui. Au milieu du lac se trouve un tout petit îlot minuscule, et il est désormais rarissime de voir une tortue y prendre un bain de soleil. A chaque fois cet événement est vivement apprécié par la population de Hanoï, tellement les tortues qui autrefois peuplaient abondamment ce lac sont devenues rares. Un tel événement est toujours considéré comme un bon présage pour les semaines à venir.
Au Japon, terre de l’Art du Sabre, la tortue est encore symbole de longévité et de stabilité du monde. Une très ancienne légende raconte qu’une tortue, Minogamé, vit depuis 10 000 ans, couverte d’un manteau d’algues au fond d’un lac. Cette légende est peut-être à rapprocher de la légende vietnamienne du Lac de l’Epée Restituée. Dans cette terre japonaise ou fleurirent les arts martiaux, l’art du sabre (le Ïaîdô) est encore très pratiqué même aujourd’hui. Les sabres sont toujours décorés. Et très souvent reviennent deux animaux : la Grue et la Tortue, qui représentent les deux aspects complémentaires et radicalement opposés de l’univers, cet oiseau étant symbole de la liberté dans le ciel et du détachement de l’esprit face aux événements du monde, et la tortue symbole de l’attachement à la terre. Par ailleurs ces deux animaux vivent très longtemps, la grue tout comme la tortue.
En plein coeur de l’Ile de Java en Indonésie se trouve le temple bouddhiste de Borobudur. Ce temple érigé au IX° siècle est un des plus grands chef-d’oeuvre de l’art bouddhique. Cet immense temple, à l’aspect pyramidal et dans lequel on ne demeure pas, est une spirale initiatique menant du sol représentant le monde matériel jusqu’à la pointe représentant le monde spirituel. Dans le bouddhisme tout le travail d’un boddhisattva est de parvenir à la réalisation de son propre Eveil puis de mener ensuite patiemment tous les êtres vivants, y compris les animaux, jusqu’à leur propre Eveil et à la cessation de la souffrance. Tout au long de ce parcours montant doucement en spirale dans le temple de Borobudur se trouvent d’immenses fresques de pierre qui sont autant de panneaux, chacun d’entre eux rappelant une histoire du
Bouddha historique ou de grands boddhisattvas du passé.
Le panneau n°192 du temple de Borobudur relate l’histoire d’une tortue. Un jour, alors qu’un monstre marin attaqua un bateau tous les occupants tombèrent à l’eau. Un boddhisattva réincarné sous la forme d’une tortue prit alors les naufragés sur son dos et les reconduisit sur la terre ferme. Ceux-ci, lui devant la vie, se mirent alors en cercle autour de la tortue et l’écoutèrent enseigner les paroles du Bouddha. Ici encore on reconnaît à la tortue un pouvoir divin élevant les hommes vers une vie meilleure.
Chez les indiens d’Amérique du Nord, la tortue, encore une fois par la rondeur de sa carapace, représente la Terre Mère nourricière et par laquelle la race indienne est apparue. Pour les Iroquois d’Amérique du Nord, dans des temps très anciens la tortue sauva la Mère, sorte d’Eve des indiens, lorsque celle-ci tomba dans l’océan. Recueillant la Vierge primordiale elle la conserva hors de l’eau sur sa carapace. Ainsi pour les Iroquois la Terre est une gigantesque tortue flottant sur la mer. Et sur sa carapace, la Vierge pu enfanter et devenir la mère des hommes, devenant ainsi la Mère.
De nombreux pétroglyphes du néolithique représentent la tortue en Amérique du Nord et jusqu’à Hawaï.
Jusqu’au XX° siècle chez les indiens la tortue est très présente dans les chants, les contes, les légendes tribales, et jusque dans l’observation des rituels. Chez les Tohono O’odham (le Peuple du Désert) d’Arizona et les Comcáac du Désert de Sonora c’est la tortue qui a planté le cactus saguaro géant et en est resté la gardienne. Pourtant, chez ces indiens du désert de Sonora et d’Arizona, la tortue était consommée puis les restes utilisés de toutes les façons possibles, comme boîtes à bijoux, instruments de musique, jouets de bébés, poupées de jeunes filles, ou bien encore entraient comme ingrédients dans les préparations pharmaceutiques.
Pourtant il existait une régulation de cette consommation par la croyance en des tabous. Chez ces indiens du désert, avoir une tortue en captivité chez soi c’était s’attirer le malheur. Plus aucune herbe ne pouvait pousser et la malédiction tombait sur le village, les enfants pouvaient ne plus grandir, les femmes ne mettre au monde que des filles. Un nid de tortues était un lieu sacré qu’il était interdit de toucher. Et le ramassage de tortues à des fins alimentaires devait se faire uniquement sous certaines conditions, en des lieux et des moments précis. Transgresser une interdiction concernant les tortues était l’assurance de s’attirer la maladie. Les populations de tortues se maintenaient donc malgré tout, ce qui n’est plus le cas depuis l’arrivée de l’homme blanc et de la “civilisation”. La tortue attirait aussi le malheur sur l’homme impoli, criminel, ou tout simplement malfaisant. Et seule une tortue pouvait conjurer les sorts qui lui étaient attribués.
Une légende Comcáac raconte l’histoire d’un homme du nom de Ziix Taaj, doté de pouvoirs surnaturels, qui fut aperçu un jour jouant à un jeu de société avec une tortue assise face à lui. Et tous deux discutaient ensemble. La tortue gagnait de nombreux tours, et Ziix taaj devint furieux et se mit à hurler. Il jeta alors une serviette sur elle et la frappa longuement, mettant fin de cette façon à la partie. Les témoins étaient effarés. Depuis, plus aucun Comcáac n’ose regarder une tortue dans les yeux, celle-ci comprenant la langue des Comcáac et parlant certainement depuis des lunes avec leurs ancêtres.
Chez les Inuits du nord glacial du Canada, qui sont aussi des indiens et dont le nom signifie simplement “les hommes”, la tortue est associée à la terre, Mère procréatrice de la lignée de tous les “hommes”. Dans cette civilisation très particulière, on rappelle en permanence aux enfants leur attachement à leurs origines en conservant un petit segment de leur cordon ombilical sur eux. Les fillettes le portent dans un sachet de peau en forme de tortue. Et pour les petits garçons ce sachet a la forme d’un lézard.
Ce sentiment de protection apporté par la présence d’une tortue se retrouvait aussi dans certaines tribus africaines pour lesquelles elle était élevée au rang de véritable totem vivant du village.
Dans la mythologie Sénoufo en Côte d’Ivoire, c’est encore une tortue qui porte le monde sur son dos. La tortue devient ici symbole de sagesse et de connaissance, car dans sa carapace elle possède toute la connaissance du monde.
Dans la Grèce ancienne, la tortue est vue de l’intérieur. Sa dossière est figurée par la voûte céleste et ses quatre pattes sont les quatre piliers du monde. Ainsi la tortue protège le monde, lui assurant stabilité et équilibre. Si on se souvient que le ciel a toujours été représenté comme une voûte hémisphérique et la Terre comme une étendue plate de forme circulaire, on comprend vite pourquoi chez tous les peuples du monde la tortue est une représentation de l’univers. Entre le dôme de sa dossière et la surface plate de son plastron, elle était l’image parfaite du monde intermédiaire dans lequel vivent les hommes entre l’univers étoilé et le sol terrestre. La tortue est ainsi un véritable fil reliant le Ciel et la Terre. Elle doit donc nécessairement posséder de fabuleux pouvoirs de connaissance et de divination. Elle doit donc aussi être un merveilleux médium capable de fournir aux hommes les secrets des dieux.
Il faut bien comprendre que dans toutes les sociétés primitives ou du moins très anciennes, le monde est un espace clos refermé sur lui-même. Il y a le monde terrestre, plat, situé sous nos pieds, riche et fécond mais aussi porteur des plus grands drames par ses colères et son feu dévastateur. Au-dessus il y a une voûte étoilée, pleine de mystères et de silence, semblant immobile mais dans laquelle on aperçoit certaines étoiles se déplaçant sur le fond immuable, et parfois des événements soudains comme des étoiles nouvelles d’une brillance extrême et ne durant que quelques jours (les comètes et aussi certaines étoiles que l’astronomie moderne nomme les supernova). Ce ciel, qu’on ne peut toucher avec les doigts même du sommet des plus hautes montagnes, est donc un monde où vivent des esprits mystérieux et dotés d’étranges pouvoirs. Ce n’est pas étonnant que dans toutes les civilisations anciennes, les étoiles et leurs positions sont intimement liées à la présence des dieux, des héros, et des animaux légendaires. Entre les deux se situe l’homme, tout petit, perdu au fond de ses pensées face à ce monde immense tant sous ses pieds qu’au dessus de sa tête.
Durant toute une vie humaine, jusqu’au XX° siècle et partout dans le monde, le ciel semblait immuable au-dessus de nos têtes et progressait à pas très lents au-dessus des événements qui constituent l’histoire sous nos pieds. La tortue, par sa forme et sa nonchalance, constitue un symbole parfait de la marche et de l’aspect du monde. Sa dossière voûtée et qui plus est circulaire, parsemée de motifs, semble être une représentation en miniature de la voûte céleste.
Son plastron, très plat, qui lui sert de base et d’appui au sol semble également être une image parfaite du sol qui nous entoure jusqu’à l’horizon visible à nos yeux. Entre les deux se situe l’être vivant, la chair, le sang, le mystère de la Vie. Les quatre pattes de la tortue, avec leur couleur et leur texture qui rappelle si étrangement celles des éléphants, sont les quatre piliers qui permettent à cette voûte de se tenir parfaitement au-dessus du sol. Une tortue qui se retourne est une abomination et un signe de funeste présage car elle représente alors la chute du ciel et le bouleversement du monde.
Il est important aussi de se souvenir que naguère encore dans la plupart des régions du monde l’espérance de vie des hommes ne dépassait pas quarante ou cinquante ans. Or la tortue est un animal dont la durée de vie est souvent le double ! Si on la voyait naître on ne la verrait pas mourir. Pour un homme, elle représentait donc presque un être immortel et doté de pouvoirs étranges lui permettant cette durée de vie inimaginable pour un être humain.
Ainsi elle représente donc un symbole de longévité… mais ce fut à son détriment ! Car il devint évident que se nourrir de la chair de la tortue constituait non seulement une source de force et de sagesse mais aussi une assurance de longévité.
Les pouvoirs magiques de la tortue dans le domaine de la longévité et de la force vitale furent étudiés médicalement autant à Rome ou en Grèce qu’en Chine. La santé quasi inaltérable de la tortue ne pouvait trouver son origine que dans la composition de sa chair et de sa carapace.
Cette pharmacopée chinoise qui nous semble aujourd’hui bien étrange à nous les occidentaux, nous l’avons également connu dans l’Antiquité européenne. Aujourd’hui, dans un monde où la technologie et le modernisme a conquis les villages les plus reculés de la Terre, la tortue change peu à peu de symbole. Les hommes ne croient plus à la puissance du ciel et se considèrent capables d’expliquer tous les phénomènes de la nature. La tortue se retrouve ainsi peu à peu reléguée au rang de vieille tradition empirique, symbole de la naïveté des ancêtres, de l’ignorance et de la peur irraisonnée du monde.
Alors ce merveilleux animal, autrefois vénéré comme un véritable intermédiaire entre le monde matériel et le monde spirituel, perd son importance dans notre civilisation moderne planétaire et se retrouve bien seul face à un Homme qui s’éloigne lentement de la nature qui l’a vu naître.
Article de Jacques Prestreau